La nature miraculeuse du Midwest

Le Midwest, c’est Chicago qui en est l’incarnation. En venant de Montréal, c’est d’abord l’Ohio et l’Indiana. Là où se trouvent les deux premiers parcs nationaux de notre parcours qui ont bien plus en commun que leur localisation. L’aventure est en route.

  • Cuyahoga Valley et Indiana Dunes sont les deux premiers parcs sur notre route.
  • Ils témoignent d’efforts de préservation de territoires sous pression agricole et industrielle.
  • Au cœur de la « Corn Belt », ils reçoivent un public hétéroclite, notamment citadin.
  • Faire cohabiter espaces naturels et économiques est vital et dépend d’efforts collectifs.

Quitter le Canada. Rapidement. Et franchir la frontière dès que possible pour réellement lancer notre périple après en avoir décalé le démarrage pour se préparer au mieux. Le départ est léger. Les Grands Lacs, fascinantes mers intérieures et plus grandes réserves d’eau douce au monde, prennent assez vite le pas sur le fleuve Saint-Laurent. Nous remontons le courant. Le lac Ontario d’abord et ses Mille-Îles au-dessus desquelles nous basculons vers les États-Unis. Puis le Lac Érié, bordé de fleurs des champs multicolores, de vignobles et de terres cultivées à l’extrême. L’agriculture, c’est la force et le talon d’Achille de ce lac qui souffre de pressions démographiques et environnementales importantes.

D’une poubelle à un refuge

Il n’est pas évident de gommer des décennies de pollution et survivre lorsque l’on est entouré de villes industrielles aussi importantes que Detroit, Toledo, Cleveland, Érié ou Buffalo qui pendant des décennies ont considéré le lac comme une poubelle. Le point de non-retour a été atteint en 1969 lorsque la rivière Cuyahoga, l’une des plus polluées au monde à l’époque, s’est enflammée une énième fois et a reçu le quolibet de calamité nationale. Depuis, des efforts sans précédent ont été entrepris par les acteurs locaux et les communautés. En 50 ans, la rivière Cuyahoga est devenue un symbole de revitalisation et le cœur d’un nouveau parc national créé en 2000. Cuyahoga Valley National Park. « On n’a pas de montagne ni de grands espaces ici, mais de grands efforts sont menés pour préserver la vallée », explique Fred, l’un des nombreux volontaires qui dirigent le flot de touristes en répétant inlassablement la direction des chemins à suivre. Les rapaces, castors et loutres de rivière sont revenus alors que tous avaient disparu de la région. Le territoire, qui hérite d’un passé lourd, est niché entre deux viaducs d’autoroutes impressionnants. Mais il accueille à présent plus de 2 millions de visiteurs par an, dont beaucoup d’enfants venus s’aérer, loin des villes à proximité, en s’amusant dans les grottes formées par des falaises de grès. Le sentier des Ledges offre un point de vue sur la vallée et des failles rocheuses incroyables dans la forêt. La chute Brandywine est une randonnée populaire, courte et agréable.

Préserver coûte que coûte

La vallée de la Cuyahoga est un îlot au milieu de l’urbanisation croissante de l’Ohio. Le deuxième parc où nous nous rendons est étrangement similaire. Au sud du lac Michigan, Indiana Dunes est morcelé entre des zones économiques versatiles et étend le sable fin de ses rivages entre deux pôles industriels majeurs. D’un côté Michigan City et ses centrales nucléaires. De l’autre, Burns Harbor et Gary, repères de l’une des plus grandes aciéries au monde dont les hauts fourneaux peuvent produire près de 5 millions de tonnes d’acier par an. Dans les années 1960, le combat de femmes mené par une résidente locale, Dorothy Buell, a permis de sauver les dunes façonnées par les vents depuis la fin de l’époque glacière des pressions commerciales voisines, le sable étant encore pillé pour l’industrie. C’est devenu un refuge faunique. Mais aussi pour humains en mal de nature, entre l’immensité de Chicago située à une heure de là, et des zones industrielles de l’Indiana en transformation après avoir frôlé la désindustrialisation au tournant des années 2000 faute d’investissements. « On voit tout le monde ici, nous explique Ken, un vendeur de hot-dogs à l’entrée des plages. Il habite l’Indiana et installe sa roulotte dans tout l’État. Il y a des touristes, des naturalistes, des gens qui fuient la ville ou le travail, qui viennent même de Chicago. » Tous ou presque donnent l’impression de vivre l’instant présent, les pieds dans l’eau, la serviette sur le sable, et les cheminées au loin. Une affiche indique que « la qualité de l’eau peut ne pas être aussi optimale qu’ailleurs dans l’État en fonction des conditions météorologiques. » Difficile de faire front.

« On voit tout le monde ici. Il y a des touristes, des naturalistes, des gens qui fuient la ville ou le travail, qui viennent même de Chicago. »

Ken, un vendeur de hot-dogs à l’entrée des plages.

La route du maïs

L’Indiana et l’Ohio figurent tous deux dans le top 5 des producteurs de soja aux États-Unis, eux-mêmes dans les trois producteurs mondiaux avec l’Argentine et le Brésil. Le long de la route où dominent les semi-remorques, des champs de maïs s’étendent à perte de vue. Les États du Midwest sont souvent appelés la « Corn Belt ». Ce grenier de l’Amérique, l’une des zones de production agricole les plus intenses au monde, a vendu pour plus de 76 milliards de dollars de produits agricoles et d’élevage en 2007. Une réussite qui a un prix. Les fertilisants et pesticides utilisés pour augmenter la productivité ruissellent abondamment sur le sol argileux de la région et se dispersent dans les rivières et rejoignent les Grands Lacs. Les nutriments rejetés créent des algues vertes qui étouffent toute vie aquatique dans le lac. À cela, s’ajoute la prolifération de plastique, bactéries et substances chimiques connues sous le nom de PFAS ou de « produits chimiques éternels », qui peuvent être transportés tout au long du cycle de l’eau en raison de leur grande stabilité, se retrouvant ainsi dans les sources d’eau potable et les précipitations.

L’espoir en image

La situation n’est pas désespérée. L’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (EPA) a qualifié la pollution par les nutriments de « plus grand défi à la qualité de l’eau de la nation » et dirige depuis 30 ans un groupe de travail réunissant des chefs tribaux et des responsables de 12 États travaillant ensemble pour tenter de freiner le ruissellement des engrais et du fumier provenant des terres agricoles du Midwest. Des chercheurs de l’Illinois partagent de meilleures pratiques pour réduire les polluants et l’azote dans l’agriculture. Et les industries n’ont pas d’autres choix que de mettre en place des moyens de lutte pour améliorer le traitement des eaux, leur consommation énergétique et les rejets polluants. L’utilisation de l’hydrogène est une piste. La cohabitation entre espaces naturels et zones économiques est vitale. C’est l’affaire de tous. Les parcs nationaux jouent un rôle déterminant et force est de constater que ces deux premiers exemples émanent d’efforts collectifs bipartisans. L’exemple de la rivière Cuyahoga revitalisée est éclatant. Les oiseaux et papillons monarques qui s’envolent au-dessus des tortues dans Indiana Dunes aussi.

Nous laissons derrière nous le coucher de soleil flamboyant sur le lac Michigan et rejoignons la grande ville, Chicago. Direction ouest. À travers cheminées et champs de maïs.


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